Comment en vient-on un jour à taper à la porte d’un cabinet de psychanalyse ?
À bout de souffle, complètement perdu, multi-traumatisé, triste à en mourir, dans la rage de rejoindre sa « vraie vie », on y vient comme on est, comme on peut. Avec cette soif de vérité qui donne les courages auxquels la nécessité pousse, et ce désir, qui insiste, de faire plus que « survivre ».
Taper à la porte d’un cabinet de psychanalyse n’est pas le fait des plus fous ou des plus faibles, mais des plus solides : il en faut, de l’énergie, pour oser se confronter à ses propres abîmes ! Qu’on y vienne avec une demande de soutien ponctuel, une volonté de psychothérapie, ou une véritable aspiration à l’analyse, on n’y vient jamais sans désir, ni toujours pour les raisons que l’on croit.
On y vient parfois aussi sans trop savoir pourquoi, sur un « malentendu », avec la sensation de voler la place à quelqu’un qui en aurait peut-être plus besoin, davantage le droit. On s’imagine aussi vide qu’une coquille ou incongru qu’un cheveu sur la soupe. Et pourtant… aucun être humain au monde n’est «sans histoire ». Ni sans urgence de vivre.
« Le bonheur est un rêve d’enfant réalisé à l’âge adulte », disait Freud. L’inventeur de la psychanalyse considérait qu’une analyse est « terminée » quand on peut enfin pleinement « travailler et aimer », autrement dit : quand on peut mettre, au cœur du réel, ses rêves d’enfant en travail, en éprouvant sa propre existence dans toute sa dimension d’épopée.
S’élancer vers le monde avec la certitude d’y apporter sa contribution à juste hauteur de son désir et de ses valeurs, se laisser aimer, se laisser être aimé… cela suppose d’être en bonne entente avec soi-même, littéralement d’avoir appris à « s’entendre » : comme la figure d’autorité d’une tribu, éprise de consensus, reconnue pour sa sagesse comme pour son art de dénouer les conflits, écoutant patiemment chacun des membres, délibérer toujours au plus juste, avec toutes les voix qui s’élèvent en soi, sans jamais en contrarier aucune.
Est-ce folie que de tenter de relever un tel défi ? Mais l’aventure analytique est-elle un risque plus grand à prendre que celui d’une vie sans aventure du tout ? La vraie folie ne serait-elle pas, plutôt, de ne pas même essayer ?
Une folie bien ordinaire, dans ce cas, puisque nombreux sont les gens qui préféreront le risque de ne jamais connaître le frisson du grand amour ou le bonheur d’un métier plein de sens à celui d’approcher le moindre cabinet de psychanalyse.
Pourquoi ce site ?
Ceci n’est pas un site. C’est un livre, déguisé en site, en perpétuel cours d’écriture, dans le désir de transmettre la psychanalyse par des mots simples et vivants, mis à la disposition de tout le monde !
Psycha quoi ? en est la suite logique et réunit des articles sous forme de macarons, à déguster comme une montée en puissance !
Tribune réunit des articles plus poussés qui interrogent l’analyste dans la cité, autrement dit, ce en quoi la psychanalyse peut s’articuler à des questions sociétales, politiques, culturelles, anthropologiques…
Manifeste
Je partirai d’un principe qui m’est cher : la psychanalyse n’est pas réservée à une élite et le grand public a le droit d’en connaître.
Par ailleurs, sauf à avoir des raisons particulières de rechercher l’effacement absolu de l’Autre, il est inutile de passer des années à jouer aux devinettes avec un psy : le temps des psychanalystes mutiques est, selon moi, révolu. Quant aux « théoriciens » aussi jargonneux que peu rigoureux par lesquels la psychanalyse s’est tant fait de tort à elle-même, je veux croire qu’ils appartiennent à un autre siècle.
Trouver les coordonnées de la psychanalyse est déjà assez ardu en soi pour qui aspire au divan. On devrait se sentir en droit de poser toutes les questions concernant le dispositif, d’en espérer toutes les réponses possibles et les plus claires qui soient. Et c’est justement ce que je me propose de faire ici. Vaste gageure ! Car peut-on transmettre la psychanalyse autrement que dans le feu de la pratique ?
Prométhée, arrachant le feu aux Dieux, par Rubens
J’ai une admiration sans borne pour les virtuoses de la vulgarisation, les Prométhées du savoir, toutes disciplines confondues. Dans le domaine d’un champ aussi exigeant et sensible, j’ai l’espoir d’y apporter mon humble contribution, sans pour autant me leurrer : du mystère de ce que peut bien être la psychanalyse, il en restera inévitablement un noyau. L’essentiel, même ! Car ce qui se passe dans un cabinet est d’une puissance et d’une complexité telles que je n’ai pas la naïveté d’imaginer en rendre compte tout à fait, a fortiori à qui n’en a pas fait l’expérience dans sa chair.
Mais en donner quelques pistes, en déconstruire quelques idées reçues ne me paraît pas un projet déraisonnable ni inutile. À commencer par cette croyance que la psychanalyse ne relèverait que du privé, quand celle-ci, tout au contraire, joue à plein dans la cité. Car s’il est vrai que toute la violence du monde se transfère dans le cabinet de psychanalyse, il peut aussi s’en exporter les voies qui s’y inaugurent.
Et certes, un tel travail aura tendance à remettre au monde des sujets infiniment plus sensibles, désirants, à même de penser par eux-mêmes et d’en inventer les façons dans leurs liens aux autres, voire d’initier des modalités de partage et de relations autrement plus épanouissantes et éthiques : ce qui se mène au cœur des singularités individuelles, dans la confidentialité des cabinets de psychanalyse se diffuse en retour dans le tissu social, le transforme nécessairement, en irrigue les forces qui poussent vers d’autres voies possibles que celle de ce monde plein de bruit et de fureur.
Par les temps sombres qui courent, dans une époque de plus en plus menacée par la régression et la répression, j’entends rappeler ici que lapsychanalyse, cette pratique de l’ombre qui relève de l’intime, est aussi éminemment politique. Or, plus un gouvernement est autoritaire, plus elle est en passe d’être accusée, dénoncée, empêchée, voire interdite.
Souvenons-nous de l’époque où, en Argentine, elle fut officiellement prohibée. Plus de divan, plus de bibliothèques, plus de fauteuil : c’est dans les rues, sous les porches, qu’avaient lieu les séances. Psychanalystes et psychanalysants risquaient parfois leur peau, mais la psychanalyse s’improvisait là. Elle ne s’est jamais arrêtée.
Voilà pourquoi militer pour la psychanalyse telle que je la conçois et pour ce qu’elle défend au-delà d’elle-même, à savoir l’émancipation humaine dont elle participe à sa façon, me paraît une ambition politique nécessaire.
Car elle est aux institutions, mais aussi dans son essence, une sorte de Carmen : libre, indomptable, elle échappe. Elle questionne. Elle dérange, elle inquiète. Résolument, elle est souvent là où on ne l’attend pas. Et surtout, elle se réclame d’une autre loi : celle du désir.
Trouver « son » psychanalyste
Elle veille sur moi, Tatiana Gorgievski
Parce que c’était lui, parce que c’était moi
– Montaigne
Avant de rencontrer, peut-être, la psychanalyse, on commence généralement… par rencontrer une personne dite « psychanalyste ». À quoi ou à qui s’agit-il de se fier ?
Ni à la psychanalyse, ni à l’analyste, mais à ses propres perceptions : « Est-ce que je vais me sentir en confiance avec cette personne ? » est la seule question à se poser. Car l’analyste qui vaut pour quelqu’un peut ne pas valoir pour un autre. On peut s’être imaginé que ça allait « coller » avec celle-ci ou celui-là et constater, une fois en présence, que l’alchimie ne se fait pas : la magie ne prend pas.
Tout comme pour Montaigne et la Boétie, c’est un mystère, et il ne saurait y avoir le moindre « travail psy » sans qu’une sorte d’amitié ne soit possible. Cette « amitié psychanalytique » aura toutefois de particulier son asymétrie : pas de réciprocité, du moins au sens habituel, car elle se fonde sur le serment pris par l’un de servir la cause de l’autre.
Autrement dit, ce n’est pas à vous de vous adapter au premier praticien venu. Vous qui, peut-être, avez justement le sentiment de faire l’effort perpétuel de vous adapter aux autres, au monde, c’est le moment d’inverser les rôles et de prendre le psy pour ce qu’il pourrait devenir : un outil. Mais ce ne sera pas sans sa personne, ses particularités et son style propre que l’analyste assurera cette fonction pour vous : avez-vous besoin de quelqu’un qui se tait beaucoup pour vous laisser tout l’espace ou au contraire qui intervient souvent, afin de ne pas vous sentir écrasé ou abandonné par son silence ? Là encore, c’est affaire de style, mais aussi fonction de la finesse de l’analyste qui doit sentir quand se taire, pour laisser le champ libre à votre parole, et quand intervenir, pour l’encourager, la soutenir, l’interpréter ou simplement la ponctuer.
Dans cette phase délicate de recherche du « bon psy pour soi », je conseille vivement d’en rencontrer plusieurs et de les « essayer », en se donnant le temps et l’espace de s’interroger intimement : dès cet instant, l’aventure, qui consiste à apprendre à écouter en soi ce qui se passe, ou ce qui ne s’y passe pas, vient de commencer. Car, de l’équipage psychanalytique, il n’y aura pas d’autre capitaine que vous. L’océan pour lequel vous désirez partir est votre inconscient. Quant au continent que vous rêvez de découvrir, quoi qu’il s’avère être, il est vos « Indes » : la cause de votre traversée.
Et pour cette cause, au service de laquelle se mettra la personne de votre choix, celle-ci se devra d’être insubmersible : il s’agit de lui faire confiance, comme à un bon bateau, car on ne part pas en haute mer sur un radeau de quatre rondins !
En effet, le psychanalyste n’est pas là pour se laisser submerger par ses propres émotions, même si elles sont essentielles à son écoute, mais pour soutenir les vôtres, s’adapter à n’importe quel remous comme à cette personne tâtonnante, future analysante à bord que vous êtes et qui, avant de devenir grande navigatrice, va nécessairement commettre quelques contre-usages ou sous-utiliser les possibilités mises à sa disposition.
Golden Sunset, William Turner
Mais ce qui vaut pour vous vaut également pour l’analyste : il lui sera tout aussi nécessaire d’évaluer son désir de jouer un tel rôle pour vous, autrement dit de défendre votre psychanalyse envers et contre tout, y compris malgré les forces en vous qui, dans les moments où la raison, le courage ou la lucidité viendront à vous manquer, feront tout pour torpiller l’aventure.
C’est la raison pour laquelle l’analyste, de son côté, se demandera : « Cette personne a-t-elle quelque chose à faire avec moi ? Ai-je quelque chose à faire avec elle ? Sa demande rencontre-t-elle suffisamment d’écho en moi, ou trop ? Saurai-je tenir bon pour elle dans les moments de tempête ou de calme plat ? ».
Avant tout analysant ou analyste, il s’agit de la rencontre entre deux êtres humains, qui se choisissent. Et d’un engagement que chacun prend, d’abord et avant tout, envers soi-même.
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