Dans quel état j’erre ?

Pour être en situation d’entendre, l’analyste se met dans un certain état d’écoute : il erre, dans ses pensées, ses émotions, sa rêverie. À ceci près que cette dernière est fonction des mouvements psychiques d’un inconscient à l’honneur : celui de l’analysant. L’analyste écoute, pourrait-on dire, d’une oreille. Il veille au bruissement ambiant.
Il s’agit de la fameuse « écoute flottante » ainsi qu’a pu la nommer Lacan : est-ce une manière de justifier théoriquement de se faire payer à divaguer ? Cela signifie-t-il que l’analyste s’en fiche de ce que vous êtes en train de raconter ? Fait-il sa liste de courses pendant que vous parlez ?
Réponse : et pourquoi pas ? Certains dessinent, gribouillent, scribouillent… Moi, je rêvasse… Mais cette façon de se détourner du discours conscient de l’analysant n’est pas du désintérêt : c’est le moyen de rendre plus efficace le tamis de son écoute, une ruse que l’analyste se joue à lui-même afin de garder son propre inconscient libre de réagir à tout moment, sur le vif, à tout ce qui pourrait faire saillie de manière signifiante dans le discours de l’analysant.
Par temps calme, parce qu’il ne s’agit pas constamment de passer le Cap Horn, il arrive qu’analyste et analysant se retrouvent aussi comme deux amis contemplant, non loin l’un de l’autre, un ciel étoilé. Mais ce ne sont pas les mêmes constellations qu’ils observent, sans peur des silences berçant leurs songes parallèles. Parfois, un astre se déplace : les rêveries se rencontrent.
Quand un mot, une émotion, un silence perce le discours de l’analysant, la disponibilité de l’analyste est alors telle qu’il y réagit aussitôt, comme une caisse de résonance : il utilise ce qu’il en élabore in vivo, pour pointer, souligner, ponctuer, interroger, répéter, voire proposer une interprétation. Et cela ouvre parfois des mondes…