Une psychanalyse ? Pfff, c’est long, non ?

Tout d’abord, la relation analytique n’est pas de nature « contractuelle » : on ne signe pas pour un certain nombre de mois ou d’années ! Il ne s’agit pas d’un engagement moral, mais éthique : on ne doit rien à l’analyste, si ce n’est l’argent des séances. C’est d’abord envers soi-même qu’on a pris un engagement. Autrement dit, personne ne retient personne.

Même s’il est préférable qu’un désir de fin ou d’interruption puisse être questionné avec l’analyste, les gens venant prendre parole dans un cabinet d’analyse sont libres d’en partir quand ils le souhaitent : au bout de quelques mois, pour certains, parce que des effets de mieux-être se sont manifestés, qu’un cap difficile a été franchi, et qu’ils ne souhaitent pas prendre le risque de bouleverser leur vie. Au bout de deux, trois ou quatre ans pour d’autres, quand il s’agit plutôt d’un travail de type psychothérapeutique. Au bout de cinq, six, sept ans voire plus pour ceux qui deviennent véritablement analysants.

Si une psychanalyse proprement dite prend souvent du temps, c’est d’abord parce qu’il ne s’agit pas de tenter d’appliquer des recettes toutes faites : ces dernières, que ne cesse de multiplier le développement personnel, en vogue dans notre société contemporaine prise dans l’idéologie du « tout consommable et vite », ont quelque chose de rassurant et de concret, car elles donnent l’illusion que l’on va pouvoir gagner du temps, en faisant l’impasse sur les profondeurs de la Psyché. Mais en général, il ne s’est rien passé ou pas grand-chose, et on se retrouve, bien souvent, au même point.

En vérité, ce qui est long, dans la psychanalyse, c’est surtout le temps que l’on met à la trouver ! Car il s’agit moins d’une méthode que d’un endroit.

Il faut bien avouer que créer une relation de confiance profonde avec un analyste ne se fait pas en trois jours. Apprendre à parler sans crainte du jugement ni honte, en pratiquant la libre association, est également un apprentissage qui peut prendre du temps. Repérer, avec l’aide de son analyste, ce qui se répète dans ses relations, dans sa parole sur le divan, mais également dans le transfert ne peut être l’affaire d’une saison !

Pourtant, quand vient le temps du dénouement, la psychanalyse proprement dite va, somme toute, assez vite : un peu comme s’il s’agissait d’une réaction chimique dont il est laborieux de réunir toutes les conditions. Mais quand elle a lieu, cela ressemble à un précipité en chimie.

Lorsque l’analysant se sent confiant, réconcilié avec lui-même, et qu’il a le sentiment de ne plus risquer de se retrouver prisonnier de schémas répétitifs et aliénants, il commence à éprouver le désir de partir. Vient alors la fin du travail, ou le travail de la fin, autrement dit la question de la séparation, qui se prépare elle aussi, et nécessite généralement encore quelques mois.

Mais certaines personnes sont analysantes avant même de toucher le moindre divan : elles l’avaient plus ou moins toujours été, sans le savoir. Dans ce cas, le processus va plus vite ! Analysant, on peut aussi ne jamais le devenir, et ce n’est pas grave, s’il s’avère qu’il n’y en a jamais eu véritablement le désir et qu’il s’agissait plutôt d’une psychothérapie.

Le divan n’a aucun pouvoir en soi : il ne fait pas l’analysant ! Aussi, quand une personne affirme qu’elle a « fait une analyse », la seule certitude est qu’elle a séjourné un certain nombre d’années sur ce meuble… Dans ce cas, il en va de la responsabilité du psychanalyste de ne pas faire perdre leur temps aux gens : si le divan ne sert qu’à se donner bonne conscience ou à se plaindre, c’est au praticien de réagir !

Si une psychanalyse s’avère souvent longue, notons que la vie l’est plus encore… En revanche, quand on vient pour la première fois à la psychanalyse, ce qui ne doit surtout pas prendre de temps, c’est de se sentir mieux. Or, dès les premières séances, la sensation concrète de s’être remis en mouvement et de mieux respirer est généralement au rendez-vous : même si on n’y voit pas clair, cette sensation immédiate de mieux-être et celle d’une issue qui s’ouvre n’ont pas de prix. On n’a alors qu’une envie : tout faire pour la trouver, cette issue, l’emprunter, et gagner les rives d’une autre existence possible. Du reste, la vie se poursuit, et de manière de plus en plus acceptable, voire agréable. La question de la durée du travail devient alors secondaire : se savoir en route vers du nouveau suffit à se sentir d’ores et déjà mille fois plus vivant. On a retrouvé l’espoir d’un horizon, et qu’a-t-on de mieux à faire que de tenter de le rejoindre ?

Pour une personne devenue véritablement analysante, la psychanalyse dépasse infiniment les années de fréquentation d’un cabinet : pour qui a recouvert l’ouïe, une fois devenu « entendant », cela semblerait absurde de chercher à se reboucher les oreilles, sous prétexte qu’on ne va plus consulter ! Une personne devenue analysante ne cessera plus jamais de l’être : elle ne pourra pas et n’aura d’ailleurs aucune envie de faire comme si cette dimension, qui s’est ouverte à elle, n’existait pas. La vie se met à avoir un goût d’authenticité incomparable et c’est un acquis existentiel définitif : la psychanalyse continue donc, mais sans analyste.

Il se pourra que les aléas de l’existence ouvrent un jour ou l’autre un nouvel abîme de douleurs, un angle inexploré pour lequel on sentira nécessaire de recourir à nouveau au dispositif analytique. Mais comme on sait désormais s’y prendre, cette seconde « tranche » aura toutes les chances d’être beaucoup plus courte.

En conclusion, ce n’est pas qu’une psychanalyse dure longtemps : elle dure toujours, avec ou sans analyste, parce qu’elle est, tout simplement, une nouvelle façon d’habiter le monde.