La psychanalyse ? Ouais… C’est bien, pour « les gens qui en ont besoin ».

Il ne viendrait à l’idée de personne de dire : « Apprendre à lire et à écrire ? Non merci, moi, pas besoin… ». C’est pourtant ce qu’affirme sans sourciller la plupart des gens au sujet de la psychanalyse, ce qui fait toujours discrètement sourire n’importe quelle personne devenue analysante. Et c’est ainsi que beaucoup de gens demeurent analphabètes… de leur propre psyché ! Certes, la psychanalyse n’est peut-être pas l’unique voie pour se connaître soi-même et on peut avoir l’impression d’en savoir suffisamment sans l’aide d’un psychanalyste.
On peut être autodidacte en bien des domaines, parce que les professeurs ne font habituellement que transmettre un savoir déjà existant que l’on peut aussi découvrir par soi-même ou s’approprier par la lecture. Mais on aura beau lire tout le corpus des diverses théories de la psychanalyse, s’essayer à l’auto-analyse, il y a une expérience de soi qu’on n’aura pas faite : celle d’être propulsé directement sur les scènes de son drame intime, comme dans un rêve éveillé, avec un psychanalyste pour compagnon, co-spectateur et co-acteur, afin que s’en invente une issue inédite. Or, si le psychanalyste peut parfois concéder à répondre à certaines questions théoriques ou pratiques, il n’a rien d’un « prof » :
l’essentiel d’une psychanalyse se passe in vivo, en immersion. La « transmission » de la psychanalyse n’est donc pas tant celle d’un savoir déjà constitué que l’émergence d’un espace concret, en soi, qu’on s’approprie à sa façon, avec ses mots.
La « transmission » de la psychanalyse relève donc, paradoxalement, de l’autodidaxie ! Et pourtant, pour que celle-ci soit possible, il faut nécessairement de l’Autre, de l’analyste et tout un dispositif. Car la psychanalyse se fait dans la chair des corps, le feu des émotions. La transformation qui s’y produit est de nature organique. Elle n’a rien à voir avec une opération intellectuelle et la psychanalyse ne se trouve pas dans les livres : ceux-ci en parlent, c’est tout.
Les éducations que nous recevons, encore très empruntes de culture judéo-chrétienne, ne nous permettent pas d’apprendre à utiliser correctement nos cerveaux : nous en avons un usage aberrant, un peu comme si on demandait à nos corps de se contorsionner, au risque d’aller à la brisure, plutôt que d’utiliser les articulations dont nous disposons naturellement. Ainsi, la plupart des éducations contraignent la Psyché à reproduire des maltraitances absurdes qui gâchent les potentiels et meurtrissent les inconscients.
Il en résulte que les gens ne savent pas lire en eux-mêmes : ils sont sourds à leur propre langue. Un jour, avoir fait une psychanalyse (ou l’équivalent ?) sera peut-être un préalable d’évidence comme apprendre à marcher, à parler, à lire et à écrire…
Certes, on vient souvent à la psychanalyse par nécessité, sous le coup d’une « malchance » apparente : une dépression, une sensation de ne plus savoir ce qu’on désire, une situation problématique, douloureuse, ou encore des angoisses inexplicables… Et bien sûr, la psychanalyse a des effets psychothérapeutiques… mais comme toute exploration ambitieuse, par exemple n’importe quelle activité créatrice : il s’y produit nécessairement des effets d’épanouissement et de mieux-être. Car oui, s’exprimer fait du bien ! Bon… Mais en vérité, on se rend compte un jour que ces coups durs, symptômes ou crises existentielles n’étaient que des portes d’accès, des accidents de la vie ayant donné la chance… de devenir analysant ! Apprendre à lire en soi, s’entendre, savoir parler sa propre langue, celle de son inconscient, en respecter les lois, ne fait pas seulement un bien fou : cela ouvre une nouvelle dimension de l’existence, transforme son rapport à soi et aux autres. C’est un plus inestimable.
Ainsi, il se produit un renversement assez cocasse : les « pauvres malchanceux de l’existence » d’hier deviennent un jour des personnes infiniment plus abouties que n’importe qui, dotées d’une habileté précieuse que la majorité de la population ne possède pas.
Ces personnes ne peuvent plus se contenter des croyances naïves et des analyses de surface : elles sentent et entendent ce que les autres ne s’imaginent pas dire, ne se savent pas en train d’exprimer. Cela crée souvent un fossé rendant la communication plus difficile. Elles sont moins dans l’affirmation de certitudes et davantage dans l’interrogation : elles peuvent parfois passer pour des personnes un peu « perchées », qui « planent » ou qui se questionnent trop, bref qui dérangent… Des gens psychiquement si forts qu’ils ne cherchent plus à cacher leurs faiblesses, assumant leurs contradictions, et si sensibles qu’ils n’ont plus ni peur ni honte de leurs émotions, devenues leur boussole.
Il est rare qu’un psychanalyste sorte de sa réserve pour exprimer ouvertement l’amour et la reconnaissance qu’il éprouve pour ses analysants : cet article en est pour moi l’occasion, le moyen de rendre hommage à celles et ceux qui m’ont faite analyste, qui m’en apprennent chaque jour sur ce qu’est le courage et me conforte dans la beauté de l’espèce humaine. À toutes ces personnes, je dédie ici cette chanson d’Anne Sylvestre que je ne peux écouter sans une profonde émotion :