Je crois que mon psychanalyste a fumé la moquette
On se croirait parfois dans un Escape Game, un peu comme si, pour passer à l’étape suivante, il s’agissait de découvrir un passage secret, résoudre une énigme. Que l’on trouve cela amusant, stimulant ou agaçant, force est de constater que l’analyste s’exprime souvent dans un langage sibyllin : il semble aimer l’équivoque, et parfois, on croirait entendre la Pythie !

Comme la célèbre prêtresse de Delphes, censée avoir quelques accointances avec Apollon, et qui rendait les oracles à qui bon venait la consulter, l’analyste est traversé par un souffle. Mais celui-ci n’a rien de divin : c’est le souffle de son propre inconscient, à l’écoute du vôtre, qu’il met à votre service, tel un instrument. Pour cela, l’analyste se trouve dans un état particulier, et propose parfois des interprétations ou des pistes inédites qui peuvent paraître déroutantes. Des messages qu’il vous délivre, pourtant, il n’en connaît pas toute la teneur, ni forcément les effets. Il sent viscéralement que par tel mot, derrière telle expression qu’il a pris soin de souligner, ou de répéter pour vous inviter à y entendre davantage que ce que vous croyez dire, se joue quelque chose d’important pour vous, et il vous le signale, il vous en renvoie quelque chose. Mais il ne fait là que vous rendre ce qui vous appartient ; à vous d’en saisir, par votre propre éprouvé, le sens véritable, car in fine, c’est vous, et personne d’autre, qui êtes relié au cerveau de l’inconscient dont il est ici question : le vôtre. En vérité, si votre psychanalyste vous parle parfois de manière si énigmatique, c’est parce qu’il ne s’adresse pas qu’à la personne raisonnable pour laquelle vous vous prenez, mais à votre inconscient, c’est-à-dire à cette part de vous qui sait, mais que vous méconnaissez. Toutefois, la comparaison avec l’illustre prêtresse s’arrête là : l’analyste ne se contente pas de se laisser traverser par les émotions, les images, les associations qui lui viennent en vous écoutant. Il n’est pas « possédé » par le souffle des échanges entre les inconscients en présence : ce n’est pas directement son inconscient à lui qui s’adresse au vôtre sans le moindre filtrage.
Sans quoi il réagirait comme une voyante, livrant ce qu’il voit et ressent sans la moindre idée de quoi que ce soit, ni à qui appartient quoi : « Je vois telle image, je sens telle émotion…etc. ». Car tout à l’écoute des effets de votre parole sur son propre inconscient, votre psychanalyste a encore la tâche de trier ce qui relève de son intimité et qui ne vous concerne pas, afin de protéger et garantir votre espace, de ce qui vous appartient bien là et qu’il s’agit de vous restituer sous une forme audible pour vous.
Ce travail de tri n’a cependant rien à voir avec une position de maîtrise : c’est le travail éthique de l’analyste qui œuvre avec et dans son désir. Car la question du désir est centrale pour l’analyste aussi : il veille à servir le premier de tous, celui qu’il éprouve pour votre analyse. Tout autre désir menaçant l’espace analytique est réorienté en ce sens, s’il peut servir votre cause, ou mis en attente, si sa satisfaction est appelée à se vivre ailleurs.
S’il ne vous livre pas toujours tel quel le fruit de son élaboration personnelle, c’est d’abord parce qu’elle n’est que la sienne : toute aussi virtuose semble-t-elle, son interprétation doit laisser de l’espace au(x) sens que vous pourriez élaborer en propre et en lien avec tout ce que vous êtes seul à sentir. Mais c’est aussi parce qu’il doit trouver la forme sous laquelle vous êtes susceptible de pouvoir en entendre quelque chose, si vous y êtes prêt, tout en vous laissant la liberté de ne rien en entendre, si vous ne l’êtes pas. Le message en est donc « voilé », aussi par respect pour votre rythme. Autre différence d’avec la Pythie, les psychanalystes contemporains ne se croient plus tenus de ne s’adresser qu’au Sujet de l’Inconscient : si votre psy s’adresse aussi à votre conscience, c’est afin de préparer celle-ci à en recevoir les messages.