Où suis-je ?

Les cabinets dans lesquels je reçois ne sont pas situés dans les beaux quartiers de Paris et n’ont rien du faste haussmannien, mais ils sont faits d’histoires : l’un est une ancienne boutique de merveilleux jouets en bois, dans un quartier populaire du 18ème. L’autre, niché au pied de la butte Montmartre, est une ancienne loge de concierge. Cette personne recueillait leurs confidences, transmettait les lettres et les clefs qui lui avaient été confiées et en un sens, je me dis qu’aujourd’hui, je ne fais pas autre chose : délivrer des messages et rendre aux gens les clefs qui se cachent dans leur propre parole.
Dans la poésie de ces deux lieux où le hasard m’a conduite, j’aime lire un présage : dans l’un, on y trouvait de quoi jouer, rêver, grandir, et dans l’autre, à l’époque où Freud inventait la psychanalyse, une dame y vivait, au cœur du quotidien des habitants de l’immeuble, sans doute aussi intimement traversée par leurs peines, leurs joies et leurs secrets que Freud par les vies de ses patients.
Le matin, quand je m’installe dans mon fauteuil, j’ai parfois une pensée pour elle. Et c’est son petit-fils, celui-là même qui venait autrefois lui sauter au cou, monsieur désormais d’un certain âge, qui aujourd’hui me loue ces quelques mètres carrés où les histoires continuent de se dire.
Ici, pas de salle d’attente. L’aventure analytique n’attend pas. Seul l’analyste garantit de son attente. Ici, pas de « patients ». Mais des gens impatients. Impatients de « prendre le temps » de détricoter et retisser les récits par lesquels ils puissent à nouveau et plus que jamais donner pleinement sens à leur vie.