Ouais… mais c’est cher ?

De l’argent « sonnant et trébuchant », oui, mais qui puisse sonner « juste » à l’oreille de chacun, sans faire trébucher personne !

En vérité, à moins de ne choisir de ne recevoir que les grands privilégiés de ce monde, le tarif se doit d’être le résultat d’une équation délicate entre trois paramètres. Le premier est relatif au confort de l’analysant : se retrouver étranglé par son « budget psy » serait tout aussi dommageable pour le travail analytique qu’un coût financier qui ne pèserait pas le poids d’une plume. Un analysant sentant qu’il paie trop peu sera mal à l’aise et « paiera » autrement, c’est-à-dire de la pire des manières, car le coût deviendra psychique. Sentiment de dette insurmontable, culpabilité, sensation d’abuser, qui ne sont pas sans affecter la relation et donc, impacter le processus.

Le second paramètre est relatif au confort de l’analyste : il s’agit pour ce dernier de pouvoir continuer à être à l’aise et libre dans son écoute. Or, un analyste en difficulté financière ou frustré par un tarif trop bas, risquera fort d’être parasité dans son écoute. Mais il le sera tout autant s’il a le sentiment d’en avoir trop demandé.

Le troisième paramètre est le repère indicatif de ce qui se pratique couramment : tout analysant et tout analyste que l’on soit, on n’en demeure pas moins reliés à une société qui fixe la valeur des choses et le coût de la vie, auquel vous, comme votre psy, qui ne vit pas que de psychanalyse et d’eau fraîche, êtes tout aussi soumis.

Pour que la question de l’argent ne soit source de stress pour personne et afin d’en limiter les incidences regrettables sur la qualité du travail à venir, il est nécessaire de trouver le juste tarif. Le « juste » tarif est à entendre non seulement au sens de justice sociale, mais aussi au sens de justesse singulière. Tout comme pour les autres aspects du cadre, il s’agit d’en adapter les contours au plus près des enjeux imaginaires, symboliques et réels qui se nouent là, dans cette relation analytique qui ne ressemble à aucune autre.

Le « juste » tarif peut évoluer : on peut éprouver la joie et la fierté de pouvoir enfin payer plus, car sa situation financière s’est améliorée, souvent grâce au travail analytique, comme le soulagement de payer moins, en cas de difficulté passagère.

« Il en manque une ! », Louis de Funès et Yves Montand, dans La Folie des Grandeurs.

En vérité, dès cet instant, analysant et analyste sont au travail : qu’est-ce que l’argent ? À quoi engage-t-il ? Quel sens peut-il avoir dans une relation humaine aussi « extraordinaire » que celle-ci ? Comment le dédramatiser et neutraliser ce qu’il engendre habituellement de violence ? Ces questions ne sont pas sans poser aussi celle de l’histoire du rapport qu’entretient chacun avec cet objet froid et problématique qu’est l’argent, ni tout ce que l’analysant trouvera à y rejouer.

Nous vivons dans un monde régi par l’argent, source de convoitise et d’injustices : un objet synonyme d’impureté, fétichisé par certains, épineux pour tous, capable de soulever des montagnes d’émotions gênantes. Or, il semble que plus un objet prend de place et de pouvoir, plus il convoque le trouble, plus la tentation de le faire physiquement disparaître augmente : il devient cet éléphant dans le salon que tout le monde fait mine de ne pas voir, un tabou autour duquel, pourtant, tout tourne. À cet égard, il n’est peut-être pas si étonnant que, dans nos sociétés modernes, celui-ci soit en voie de disparition physique.

La psychanalyse en cabinet a pour tradition de réintroduire l’argent dans l’espace comme corps sensible : même si ce n’est pas toujours justifié ni à imposer systématiquement, le rendre présent sur la scène analytique permet parfois de ne plus le refouler et de se confronter à l’éprouvé qu’il engendre, en questionnant ce qu’il est mais aussi ce qu’il n’est pas, dans cette relation-là. Reste à savoir ce que l’on paie et pourquoi….