Qui suis-je ?

Passionnée, j’ai à cœur de défendre une nouvelle approche de la pratique analytique. En recherche perpétuelle, séance après séance, du geste à trouver avec et pour chacun, je me suis vite aperçue qu’il me serait impossible de me passer d’interroger les concepts légués par l’histoire, encore moins de me contenter d’appliquer des préceptes.
C’est pourquoi, quand on me demande si je suis lacanienne, freudienne ou jungienne, ou qu’on m’interroge sur l’école à laquelle je me réfère, je réponds que j’appartiens surtout à l’école buissonnière de cette nouvelle génération d’analystes qui ont la prétention de tenter leur propre synthèse.
Sans renier l’héritage, il me semble nécessaire d’oser le bousculer, en prenant au mot Lacan lui-même, quand il affirme que chaque psychanalyste a à « refonder la psychanalyse. ».
Car le cabinet peut, comme n’importe où, être un lieu où se tissent des relations d’emprise et de maltraitance sous des formes peu identifiées tant nous y sommes culturellement habitués, tant nous vivons dans une société qui ne sait imaginer les rapports humains autrement que dans la remise en jeu systématique de la compétition ou de la subordination.
Pour une pratique plus sensible, aux prises avec les problématiques de notre époque, je milite dans le sens d’une psychanalyse joyeusement subversive, affranchie de tout rapport de pouvoir, et donc, dépatriarcalisée.
Du reste, féminisme et psychanalyse ont tout à voir. Or, même si elle est, dès son mouvement initial, une tentative de s’en extraire, il s’agit pour moi d’examiner ce en quoi la psychanalyse n’a pas fini de s’émanciper du patriarcat qui l’a produite. Nous retrouvons là le paradoxe de toute naissance : elle a à se détacher de ce qui l’a faite. Elle a donc, dans sa pratique comme dans ses notions, à achever, comme n’importe quel autre champ, sa « dépatriarcalisation », quitte à ce que cet « achèvement » soit synonyme d’un remaniement profond de ces dernières, afin d’être en mesure d’articuler de nouveaux concepts psychanalytiques aux changements sociétaux qui transforment la culture et aux données scientifiques et anthropologiques dont nous disposons aujourd’hui.
Si la psychanalyse a à être perpétuellement questionnée, repensée, elle ne s’interroge pas seulement ni d’abord dans le dialogue incessant avec ses grands noms, mais au cœur de cette infinie difficulté où l’analyste se trouve de contenir sans contraindre, d’ouvrir sans lâcher, de proposer sans imposer, de se faire discret sans abandonner, d’encourager sans forcer.
La psychanalyse est avant tout une école de l’autonomie, un lieu de libération, et je comprends le cabinet comme un espace d’utopie ainsi qu’un laboratoire de la relation humaine où s’explore et se transforme la relation à l’Autre, au monde et à soi-même, jusqu’à ce que se dénouent les conflits internes qui oppressent le Sujet.
Loin des recettes toutes faites qui ne soulagent de rien, des promesses non tenues du « développement personnel » qui redouble d’injonctions au bien-être et encense la seule volonté consciente, ne faisant ainsi que reproduire les maltraitances auxquelles le fantasme de maîtrise conduit toujours, la psychanalyse fait aujourd’hui pour moi figure de résistance politique : elle invite à découvrir les puissances qui gisent dans le secret de ce que nous avons l’habitude culturelle de prendre pour nos plus grandes faiblesses.
Elle est une ambition, l’appel à une révolution dont on ne comprend pas toujours la teneur, qu’on ose à peine écouter au fond de soi, mais auquel on sent combien il est nécessaire de répondre.