Une psy « HPI » pour « HPI » ?

Avant de répondre, quelques mots s’imposent sur cet essai collectif et pluridisciplinaire paru en 2018, surtout pour qui ne l’a pas lu, et même, pour qui l’a lu…
Première remarque : même si l’éclairage de la psychanalyse était loin d’en être absent, il s’agissait d’abord d’un ouvrage de philosophie politique. Deuxième remarque, déductible de la première : même s’il semblait question de « douance », notre exploration portait davantage sur ce qui fait norme, notre véritable objet d’interrogation étant la condition humaine, que le profil « surdoué », à notre sens, surexpose. Troisième et dernière remarque préliminaire : on peut considérer que notre ouvrage s’inscrit dans la veine des essais contemporains de plus en plus nombreux à oser s’écrire à la première personne, en l’occurrence du pluriel.
Que dire de l’éclipse progressive du « nous » universitaire, si ce n’est qu’elle témoigne d’un changement notable en sciences humaines ? J’y vois le signe que nous quittons peu à peu les fantasmes du positivisme pour aller, peut-être avec plus d’humilité, vers les horizons incertains de la complexité. Si la subjectivité des chercheurs est aujourd’hui de plus en plus assumée, elle n’empêche cependant en rien la rigueur, et il me semble qu’elle y contraint même plus que jamais.
Aussi, ne pas nous cacher derrière une soi-disant neutralité qui n’a, du reste, jamais trompé personne, nous a paru un gage de prudence et d’honnêteté épistémologique. C’est pourquoi, dans ce livre, mes co-auteurs et moi-même nous sommes proposés d’interroger le signifiant « surdoué » en regard d’une norme source de sidération pour nous afin de tenter, non seulement à partir des sciences humaines, notamment des données actuelles de l’anthropologie, comme de nos cliniques respectives, mais aussi, de nos vécus personnels, de penser l’écart… Oui, mais lequel ? Celui qui « écarte » une minorité du reste de la population, comme notre société semble y inviter ?
Révisions ! (et évolution des concepts)

Au commencement était… le récit !
En prenant les performances cognitives hors normes que peuvent parfois saisir les tests de QI pour des conséquences très fréquentes mais non nécessaires de ce qui se joue plus en amont dans la Psyché, nous avions déplacé les projecteurs sur la notion de récit. Nous en avons proposé la définition suivante : le récit est ce par quoi tout être humain donne sens au monde et à sa propre existence, seule parade à l’angoisse, La mise en récit y pare en la transformant en désir libérateur et créateur.
Au sujet de cette angoisse, Carlos Tinoco avait tenté, dans l’Acte I, d’en dire davantage, à l’aide de ce qu’il avait alors nommé « les propositions sidérantes » : l’idée de la mort, le temps qui passe…etc. Ce n’était qu’une première tentative, mais d’ores et déjà, ce terme de « propositions », renvoyant à l’univers de la philosophie, autrement dit au logos, ne me parlait pas : ce qui se jouait là me semblait plutôt à chercher du côté de l’éprouvé, du corps. De plus, si la mort, le temps qui passe, sont souvent, dans notre culture, ce par quoi le sens se voit menacé, il ne me semblait pas si évident que ce soit pour autant toujours le cas. Une lettre d’un lecteur m’avait d’ailleurs confortée en ce sens : pour celui-ci, l’effroi n’était pas tant du côté de la mort que celle de sa naissance, à laquelle il ne parvenait pas à trouver de sens… D’un individu à un autre, au sein d’une même culture, l’éprouvé de l’effondrement du sens ne passe pas nécessairement par les mêmes objets.
C’est pourquoi j’avais spontanément préféré m’en tenir à Méduse, autre façon, plus vague, que nous avions d’exprimer la source d’effroi : ce qui sidère, laisse sans voix, autrement dit l’effroi éprouvé face à ce qui n’a aucun sens.
Aujourd’hui, et pour aller plus loin, je propose de nommer Khaos ce autour de quoi la Psyché lutte et s’organise : trauma primordial universel, Khaos est comme une sorte de trou noir menaçant d’aspirer tout sens, vortex qu’il s’agit continuellement de tenir en respect par du récit.
Khaos est la marque laissée par la manifestation horrifique et irreprésentable du Réel, ce contre quoi s’agglutineront tous les traumas, communs et individuels. Suivant les cultures, ces traumas communs peuvent varier. Dans la nôtre, il s’agit souvent, en effet, de l’angoisse face à la mort comme à toute perte, l’angoisse face au temps qui passe…etc. De manière plus générale, ils sont tout ce qui menace de rompre l’équilibre des récits par lesquels nous tenons et de nous entraîner dans un abîme de non-sens, quelles que soient les modalités sous lesquelles cette catastrophe se raconte, risque qui fonde notre condition humaine.
Ce geste qui consiste à postuler la centralité d’un éprouvé horrifique contraignant la Psyché à se mettre en mouvement par la production de récit bouscule la psychanalyse freudienne. En effet, celle-ci partait, quant à elle, non pas de l’éprouvé horrifique qui fonde notre condition, mais d’un postulat biologique : pour Freud, c’est le sexuel qui est au centre. Quand Lacan introduit le concept de Réel, il nomme par ce terme tout ce qui est imparlable, irreprésentable. Mais ce qui est imparlable, irreprésentable, qui nous arrive et dont il nous est donné de faire l’expérience dans notre chair, nous pouvons aussi l’éprouver dans des versions plus douces, voire sous une modalité extatique. Or, Lacan fait une place assez marginale à cette éventualité. En cela, Lacan me paraît représentatif d’une culture marquée par un abord du Réel relevant essentiellement du trauma. Avec Khaos, j’introduis une sous-catégorie de l’éprouvé face au Réel, afin d’en ménager d’autres modalités. Khaos n’en est donc qu’un des noms possibles, pour rendre compte des cas où le Réel se manifeste avec fracas, autrement dit dans sa version horrifique, traumatique, quelle que soit d’ailleurs la façon dont telle ou telle culture se représente le risque d’y sombrer. (Pour aller plus loin, cf. La peste soit de Freud !)
Ce récit, constamment au travail, tisse une toile de fond qui tapisse et protège la Psyché. Mais quand il se défait, la béance réapparaît aussitôt, et l’angoisse, voire la panique envahit le Sujet. Pas plus qu’on ne contrôle les moments où il s’effiloche, voire s’effondre, on ne décide du récit lui-même : il se tisse tout seul, à tous les niveaux, sans relâche, plongeant ses racines au plus profond de l’Inconscient.
Aujourd’hui, je considère ce « récit » comme étant hybride, avec une partie structurée et structurante qui, si elle se défait, plonge en effet le Sujet dans l’angoisse, et une partie « non faite », en tout cas pas de mots ou de signifiants, sans pour autant générer la moindre angoisse, au contraire : il me semble que cette part mouvante, vivante, comme une sorte de flux pré-langagier, quelque chose ayant à voir avec le corps, le cri, le chant ou la danse relève d’un éprouvé qui n’a rien d’horrifique, mais qui n’est pas non plus, à proprement parler du récit, si ce n’est en puissance : une trace plus heureuse du Réel, que la partie élaborée ne peut contenir.
L’écart entre deux modalités antagonistes de mise en récit
La modalité de mise en récit ne se choisit pas non plus : nous en avions opposé deux. L’une, celle dont découlent souvent des habiletés cognitives hors norme quand elle est prégnante chez un individu se caractérise par son autonomie à l’égard des récits de l’écosystème familial, social et culturel. C’est la puissance d’une idée ou d’un éprouvé qui prévaudra sur la puissance du nombre : si tout le monde affirme que l’Empereur n’est pas nu, alors que vous, vous voyez bien qu’il l’est, vous ne pourrez y renoncer. Et si tout le monde vous regarde de travers, comme si vous étiez dans l’erreur ou la folie, vous paierez votre amour de la vérité par le sentiment d’une solitude vertigineuse et un état de sidération qui constituent l’éprouvé traumatique de l’écart à la norme ; une norme statistique, et non de santé, cela va sans dire !
L’autre, de nature hétéronome, propension statistiquement majoritaire, s’adosse inconditionnellement aux récits collectifs en vigueur. Dans ce cas, c’est la puissance du nombre qui prévaudra sur la puissance d’une idée ou d’un éprouvé : même si vous le percevez, ou avez cru le percevoir dans sa nudité, vous y renoncerez en vous convainquant tant bien que mal que l’Empereur est habillé, ou doit sûrement l’être, préférant douter de vous-même, afin de vous rallier à la conviction du reste du monde. Vous vous serez alors épargné une solitude effroyable, mais au prix d’une aliénation profonde.
Nous avions ainsi, par une foule d’exemples, montré l’antagonisme de ces deux modalités de mise en récit, comment la modalité hétéronome peut être source d’aliénation, même si une part en est irréductible et nécessaire, ne serait-ce que pour communiquer, être un minimum en lien, et comment la modalité autonome peut, quant à elle, être génératrice de sens de manière incomparablement plus puissante, même si elle est aussi source d’effroi et d’une solitude telle qu’elle en menace le sens lui-même : à quoi bon, en effet, éprouver des évidences, s’il ne se trouve personne avec qui les partager ?

Il était donc moins question d’un écart entre deux populations qu’entre deux façons irréconciliables de « mettre en récit » l’existence, autrement dit de se demander comment le rapport au monde et à soi-même se fonde dans cette nécessaire mise en tension du Sujet entre ces deux modalités. Il s’agissait donc bien de penser un écart : celui dont la ligne de faille nous traverse tous, même si cela n’engage pas ce conflit universel dans les mêmes proportions chez tout le monde, selon que l’on penche d’un côté ou de l’autre de ces deux modalités de mise en récit.
Enjeux de violence
Nous avions alors examiné les enjeux de violence qui s’activent nécessairement entre les tenants de l’une ou de l’autre : la personne qui ose exprimer tout haut une idée contraire ou un sentiment trop différent de ce que pense ou ressent le reste du monde en menace les récits collectifs. De ce fait, elle risque de se retrouver en fâcheuse posture sociale. Indexée, moquée, voire rejetée, elle sera, au mieux, « pathologisée », d’où cette vague de psys à la mode s’occupant de répertorier les caractéristiques de ces gens, de plaindre leurs souffrances, de leur concéder parfois des petits noms ayant surtout pour effet de les écarter imaginairement un peu plus de l’espèce humaine, et de leur proposer des thérapies spécifiques : c’est à se demander parfois si on ne frôlerait pas la « thérapie de conversion », lubie d’un autre temps dont on se souvient de l’échec cuisant !

En mettant en lien le développement de nombreuses habiletés cognitives hors normes avec une forte tendance à la modalité autonome de mise en récit, nous avons « dépathologisé », en le réintégrant non seulement au sein, mais au cœur même de l’humanité, le profil de ces personnes sensibles, assoiffées de communions extraordinaires, passionnées, curieuses, autodidactes incorrigibles même quand l’inscription dans les cadres scolaires ou universitaires leur est possible, ne reconnaissant d’autorité que celle qu’elles jugent fondée, inventant souvent leurs propres règles, leur geste existentiel étant avant tout de nature créatrice.
Les « surdoués » et la psychanalyse

Le rôle de l’analyste ressemble à celui d’Ariane déroulant pour Thésée le fil grâce auquel il ne se perdra pas dans le labyrinthe où l’attend le Minotaure. Ainsi, l’analysant, assuré par le fil de son désir que tient pour lui l’analyste, seul guide dans le dédale de sa psyché, trouvera la force d’aller à la rencontre de sa terreur. Encore faut-il qu’entre les deux protagonistes, une confiance solide ait pu s’établir. Mais comment faire confiance à un psy qui ne semble pas même vous comprendre ?
La psychanalyse est, dans sa pratique comme dans son essence, un lieu de poiesis où se défont et se refondent les croyances, où se nouent des liens inédits, sources de sens nouveaux. En d’autres termes, elle est un endroit voué à la libération de l’intelligence humaine, dans une acception élargie du mot, en son sens étymologique, à savoir : un travail sur tout ce qui « se lit et se lie entre » les mots, les représentations, les signifiants. Elle est une fabrique de sens où l’on apprend à parler sa propre langue, celle de son inconscient, et à vivre « en bon intelligence » avec soi-même. Autrement dit, elle est un espace où s’acquièrent de meilleures dispositions d’« entendement » de soi et donc aussi des autres.
Un rendez-vous manqué !
A priori, leur goût pour l’exploration, la polysémie et le paradoxe, leur amour de la vérité, leur besoin constant de sens et leur aspiration à l’autonomie auraient tout pour faire des personnes concernées par la question de ladite « douance » des candidates plus qu’indiquées au divan. Étant par nature l’invitation à développer son récit subjectif par les voies de la mise en récit autonome, il ne serait pas déraisonnable d’aller jusqu’à dire que la psychanalyse semble avoir été inventée par ces personnes pour ces personnes ! À celles du moins qui, non dupes des étiquettes et autres noms d’oiseaux qu’on leur colle, sont conscientes que cette essentialisation les enferme, la psychanalyse paraîtrait tout à voir et tout avoir pour leur être une voie d’évidence. Et pourtant, il n’en est rien. Au contraire, ces personnes se méfient plus que quiconque des psys en général, et des analystes en particulier.

Et… elles ont raison ! Car elles sont nombreuses à s’être heurtées ou bien à un mur de silence, ou bien à des interprétations grossières qui leur ont été plaquées sans ménagement. Bien souvent, elles ont le sentiment qu’on leur a infligé, pour reprendre le jargon de la psychanalyse classique, le discours suivant : il leur faudrait « renoncer au fantasme de toute-puissance et intégrer la castration, comprendre que la surintellectualisation est en fait chez elles un symptôme, et que le surdéveloppement de certaines habilités cognitives n’est qu’un mécanisme de défense leur ayant permis de parer à une blessure narcissique ou à un trauma de l’enfance. Surtout, elles seraient empêtrées dans leur conflit œdipien plus que quiconque, du fait d’avoir été investies comme objet phallique par l’un de leurs parents narcissiquement défaillant…etc. ».
Ces personnes témoignent souvent du fait que, face à ces psys, elles ont eu le sentiment de savoir à l’avance ce qui leur serait dit, avec l’impression déconcertante de pouvoir aisément les manipuler. Devant une telle lecture de leur profil, elles ont souvent le sentiment de ne pas être entendues, ni comprises et qu’il leur est, une nouvelle fois, renvoyé leur inadéquation au monde et leur fameuse immaturité à la figure. Bref, il se répète au cœur même du cabinet le drame qui se joue partout ailleurs dans le reste de la société : celui d’un malentendu désespérant. Pour les plus fragiles, elles en ressortent avec la conviction renforcée qu’elles ne sont peut-être, tout simplement, pas viables. Pour les plus solides, que la psychanalyse n’est qu’une affaire de vieux schnocks.
Pour quelle raison ?
Leur rendez-vous si souvent manqué avec la psychanalyse s’explique par le fait qu’il y a en réalité deux façons radicalement opposées de concevoir le travail du psy : ou bien celui-ci pense que sa mission est d’aider les gens à être en harmonie avec leur temps, mais alors, bien souvent, il œuvrera pour la société telle qu’elle est. Dans ce cas, sans même s’en rendre compte, le psy contribue à la maintenir en invitant les personnes à rebâtir leur récit subjectif en phase avec les récits collectifs de l’époque. Le travail consistera à en réduire l’écart et aura toutes les chances de n’aboutir, au mieux, qu’à un réaménagement de la Psyché, ce qui, en politique, est la définition même de la réforme. Le cabinet du psy devient alors un lieu où se répercute la loi des récits collectifs qu’il s’agira de travailler à réintégrer de manière plus satisfaisante. Le psy y fait donc figure d’autorité. Et bien qu’il se fasse peut-être appeler « psychanalyste », son travail ne relèvera jamais, à mon sens, que d’une espèce de psychothérapie adaptative, même si l’on peut aussi très bien se faire appeler « psychothérapeute » et avoir la tendance contraire. Un tel psy œuvrera pour l’adaptation des sujets à la société contemporaine, au prix d’une aliénation certes moins douloureuse, mais une aliénation tout de même.

Ou bien le psy considère que sa mission est d’aider les gens à être en harmonie avec leur propre complexité, indépendamment de l’époque et de la culture : dans ce cas, sa mission est d’œuvrer pour une autre société, quel que soit l’écart que cela creuse nécessairement d’avec les récits collectifs en vigueur, jusqu’à ce que l’analysant s’autorise à se soutenir de cet écart par lui-même, quoique jamais sans quelques autres, une fois devenu apte à les rencontrer ailleurs que dans un cabinet de psy. Un écart enfin assumé et vécu non plus comme une malédiction, ou un danger, mais comme pouvant être fécond. Dans ce cas, le psy ne se considère pas comme le relai de la loi des récits collectifs, une figure d’autorité, mais comme une source d’autorisation à laquelle, peu à peu, les gens puiseront la force et l’audace d’interroger la Loi elle-même, pour la refonder par eux-mêmes. Un tel psy permettra aux sujets de développer leur adaptabilité, c’est-à-dire d’être eux-mêmes, sans concession et plus que jamais, indépendamment des conditions, sans jamais en rabattre sur le désir, qui trouvera toujours le moyen de s’édifier.

Entre ces deux points extrêmes, bien sûr, toutes les nuances existent…
Là encore, la question politique est au cœur de la pratique : on ne peut l’éluder. Impossible de s’interroger sur un tel métier sans questionner d’abord le sens fondamental du geste du psy et de ce à quoi il l’engage. Car alors, tout simplement, non seulement nous ne faisons pas le même métier, mais nous œuvrons dans des sens contraires.
Comme on le voit, tout va dépendre du rapport que l’analyste entretient lui-même avec ses propres figures d’autorité dont peuvent faire fonction pour lui les grands noms de l’histoire de la psychanalyse. Au fond, tout dépend du point où en est l’analyste lui-même dans l’autorisation qu’il se donne à occuper son fauteuil : s’il ne parvient à l’obtenir que de maîtres dont il ne s’est jamais tout à fait affranchi, ce qui est courant dans les grandes associations ou les écoles de psychanalyse classiques, il est fort à parier qu’il sera dans une attitude servile vis-à-vis de la tradition, et qu’il soumettra ses analysants à la même loi et aux mêmes schémas de pensée auxquels il se soumet lui-même pour penser la Psyché. En d’autres termes, si l’analyste n’est pas engagé dans un mode de mise en récit suffisamment autonome de la psychanalyse elle-même, s’il ne s’occupe pas de la refonder à sa façon, il lui sera difficile d’entrer pleinement dans l’improvisation que nécessite une écoute vivante et d’inviter ses analysants à se désaliéner véritablement des récits collectifs et des oracles familiaux.
Autre raison
Mais parfois, le rendez-vous ne se fait pas pour la raison inverse : à qui vient, son test de QI à la main et sa demande éperdue d’un récit tout prêt à l’endroit de la « douance » sur lequel s’appuyer enfin, croyant y faire l’économie de travailler à son propre récit subjectif, le désir de l’analyste ne saurait répondre car, quoique fort compréhensible, cette aspiration à la conformité et à la délégation du sens ne pourra jamais trouver satisfaction dans un cabinet de psychanalyse digne de ce nom.
D’ailleurs, cette « douance » brandie comme une identité, dans cette demande d’appartenance à un récit déjà constitué auquel on prête le pouvoir de dire à sa place qui l’on est, est exactement l’endroit où les fameux « surdoués »… cessent de l’être ! Dans leur souffrance de ne se sentir appartenir à rien, les voilà tout à coup avec l’espoir de se reconnaître dans un groupe fantasmatique dont ils se revendiquent, mais le récit collectif qu’ils réclament n’existe pas : ils se sont trompés de Terre promise. Le commun de la « douance » n’est pas un lieu à part, sur lequel bâtir : ce n’est que l’éprouvé, souvent traumatique, d’un écart relatif à une norme, entre des personnes qui par ailleurs sont souvent plus dissemblables entre elles que ne le sont entre eux les gens du « tout-venant »!
Conclusion
Il est donc moins question ici de savoir s’il existe une « psychanalyse pour HPI » que de se poser la question de ce qui motive la demande : s’il s’agit bien d’un authentique désir de libération et d’autonomie, autrement dit de s’engager dans la voie de son propre récit de manière active, que l’on ait ou non été estampillé « HPI » par la vertu d’un test, le désir de l’analyste répondra présent. Il n’y a donc pas de « psychanalyse HPI », car c’est une tautologie : ces personnes, loin d’être une minorité étrange, une population à part qu’il s’agirait de mettre à l’écart du commun des mortels, surexposent au contraire les affres de la condition humaine, le désir de liberté et de sens qui en sont les universaux et qui se trouvent être la grande affaire de la psychanalyse.

Quand ce rendez-vous a lieu entre ces personnes et la psychanalyse, elles éprouvent un soulagement immense à pouvoir exprimer leurs souffrances sans avoir à redouter l’angle mort de l’écoute analytique traditionnelle. Compte-tenu de leur rapport aux figures d’autorité, c’est également un grand soulagement pour elles que de pouvoir librement interroger le cadre, le tester, ainsi que de s’adresser à un analyste qui ne cesse lui-même de l’interroger, de le réadapter, bref à un psy engagé dans la « haute couture » du cadre analytique. Soulagement aussi que ce fichu « hpéisme » puisse enfin cesser « d’être un sujet » ! Car pour qu’il cesse d’en être un, il faut paradoxalement qu’il ait été aperçu, parlé et surtout, que l’écart traumatique à la norme cesse de s’éprouver au sein du cabinet lui-même. Alors il n’y a plus d’ « hpéisme » ni de « surdoués » qui tiennent, il n’y a plus que ce qu’il y a toujours eu : de l’humanité, et plus que jamais. Que dire alors, si ce n’est que ces gens mènent souvent des psychanalyses passionnantes, bouleversantes, magnifiques, et se révèlent être, sans surprise, des analysants de talent ?
Annexe
À propos de l’Acte III
Aux courriers qui n’ont pas cessé de nous être adressés depuis la parution de notre ouvrage, je me suis attachée à répondre de manière personnalisée, et la plupart du temps, je m’y suis tenue. Mais je n’ai pas toujours réussi à suivre le rythme. Je profite de ces quelques lignes en annexe pour exprimer le pincement au cœur que j’éprouve en imaginant les quelques lettres qui m’ont échappées, restées sans retour.
J’ai pu constater, à cette occasion, que certaines questions revenaient en boucle, notamment celle de savoir ce qu’il advient de l’Acte III, le troisième volet tant attendu de notre essai, et qui n’est jamais paru.
Il ne s’agit pourtant pas d’une promesse non tenue, mais seulement non encore tenue : écrit dans l’élan des deux premiers, il nous aurait été facile de le publier dans la foulée. Mais, pour des raisons de contraintes éditoriales, nous avions été arrêtés dans notre élan. Entre temps, la vie, et ses vicissitudes qui frappent aussi bien les psy que n’importe qui d’autre, nous a entraînés loin de ce troisième tome. De plus, il ne pourrait plus aujourd’hui ressembler à celui que nous nous apprêtions à écrire : nos pensées ont, tout comme nous, évolué.
Cette suite finira bien par s’écrire un jour, par l’un ou l’autre, par deux ou trois, les mêmes ou d’autres. Impossible aujourd’hui de le prédire. D’ailleurs, n’est-elle pas, en un sens, en train de s’écrire ? Après tout, dans ce fameux acte III, il était question de ce que Philippe avait nommé le « réenchantement » du monde, notamment par la question de la transmission et de l’éducation, celle de la relation amoureuse, l’art, mais aussi la psychanalyse, autant de voies annoncées et pressenties. Ce site est donc un peu, d’ores et déjà, la poursuite d’un des grands axes que nous nous y étions promis d’explorer.